Le jabot de l’abeille est riche de 13 bactéries lactiques
Le Miel, une autre histoire de l’humanité, publié chez Albin Michel de Marie Claire FREDERIC
Le miel est un merveilleux aliment. Merveilleux par ses propriétés pour notre santé, mais aussi à cause de sa fabrication par un animal. C’est le seul aliment que nous puissions manger déjà tout prêt, et qui soit fabriqué par un insecte. Et de plus, c’est un aliment fermenté !
Lorsque j’ai commencé à m’intéresser au miel autrement que par la simple gourmandise, j’ai découvert des histoires fascinantes. J’ai voyagé à travers les civilisations et les époques les plus lointaines. Il était cohérent pour moi de raconter son histoire car le miel est un aliment fermenté, qui a accompagné les civilisations jusqu’à aujourd’hui. Mais comment le miel est-il fermenté par les abeilles ? Voici la réponse.
Rappelons d’abord brièvement comment les abeilles font le miel
Elles le fabriquent à partir de nectar ou de miellat. Le nectar est une substance sucrée sécrétée par les fleurs. Le miellat est également une substance sucrée, mais elle est excrétée par des insectes suceurs comme des pucerons ou des cochenilles, à partir de la sève des arbres. Les fourmis et surtout les abeilles sont friandes de ce liquide. Les miels de sapin ou de forêt par exemple, sont des miels de miellat. Ceux de fleurs (lavande, colza, acacia, etc.) sont des miels de nectar.
Les abeilles ouvrières butineuses récoltent donc le nectar ou le miellat grâce à leur longue langue. Ce liquide est provisoirement stocké dans le jabot de l’abeille et c’est là qu’il commence à être transformé, durant le vol de retour vers la ruche. En effet, dans le jabot de l’abeille se trouvent l’enzyme invertase qui décompose le saccharose en glucose et en fructose. Arrivée à la ruche, l’abeille régurgite le miel dans la bouche d’une receveuse, qui va le régurgiter à son tour à une autre, en le mêlant à sa salive et à ses sucs digestifs qui contiennent encore des enzymes : l’amylase, l’alpha-amylase et la bêta-amylase qui vont produire du maltose, ainsi que des acides organiques. Une autre enzyme est très importante : la glucose-oxydase qui, en présence d’eau, transforme le glucose en acide gluconique et en peroxyde d’hydrogène que l’on va retrouver l’un et l’autre dans le miel, ce qui lui confère ses propriétés antiseptiques.
Le miel est ensuite stocké dans les alvéoles de la ruche et il est déshydraté grâce à une ventilation longue opérée par les ouvrières ventileuses et grâce à la chaleur de la ruche qui est d’environ 36°C. Quand la teneur en eau est autour de 18 %, le miel est prêt : L’abeille obture les alvéoles. Le miel peut alors se conserver très longtemps.
Rappelons ensuite ce qu’est la fermentation
C’est un processus biochimique qui transforme la matière organique grâce à des enzymes spécifiques fabriqués par des micro-organismes, bactéries, levures, moisissures.
Dans le cas de la lacto-fermentation, ces enzymes produisent principalement de l’acide lactique. Pour la fermentation alcoolique c’est de l’alcool, pour la fermentation acétique, c’est de l’acide acétique, pour la fermentation butyrique de l’acide butyrique, etc. Très souvent la fermentation donne un produit acide, ce qui, au passage, rend le produit antiseptique.
L’acide lactique est présent dans le miel, ainsi que les acides butyrique, formique et gluconique. Ces trois acides sont produits par des micro-organismes et ils sont d’ailleurs présents dans divers autres aliments fermentés : choucroutes, yaourts, kombucha, produits laitiers…
Des enzymes, des bactéries et des acides organiques
Des scientifiques suédois, Alexandra Vasquez et Tobias Olofson ont publié en 2008 (*) une étude dans laquelle ils concluent que le miel est un aliment fermenté et que c’est justement ce qui explique son action bénéfique pour notre santé (et surtout celle des abeilles, bien entendu).
Ils ont découvert que le jabot de l’abeille est riche en bactéries lactiques. Ils en ont dénombré 13 espèces différentes, 9 Lactobacilles et 4 Bifidobactéries. Ils ont montré aussi que ni ces bactéries ni l’acide lactique ne provient des fleurs. C’est bien dans le jabot de l’abeille que cela se passe. Cette flore lactique s’est développée dans les abeilles au cours de leur évolution de plusieurs millions d’années. Il s’est créé une relation de mutualisme où les abeilles obtiennent une protection de la part des bactéries, et les bactéries acquièrent de la nourriture et une température idéale où elles peuvent se multiplier.
Ces bactéries lactiques sont les mêmes que celles qui produisent la choucroute, le saucisson et le yaourt. Elles ont énormément d’effets positifs et notamment elles empêchent la dégradation des aliments. Elles sont également présentes dans notre propre microbiote à nous humains, et ont un rôle énorme pour nous protéger de maladies et de bactéries pathogènes. Chez les abeilles, c’est pareil : ces bactéries ont un effet antibiotique et les protègent contre les pathogènes. Et de plus, les substances produites (enzymes et divers acides) ont des effets antiseptiques très efficaces.
Les scientifiques qui ont fait l’étude supposent que ces bactéries protègent aussi le nectar de la dégradation entre le moment où il est récolté et celui où il devient le miel, ce qui prend du temps. Ils ont aussi montré que ce qu’on appelle le « pain d’abeilles », que les insectes fabriquent à partir du pollen en le mélangeant à du miel, est également un produit fermenté. Cette fermentation dure environ 2 semaines. Les abeilles s’en nourrissent et nourrissent leurs larves, et il sert également de nourriture pour les bactéries qui transforment le miel.
Les probiotiques vivants et les enzymes sont encore présents dans le miel frais après la récolte. Ensuite, les bactéries meurent à cause de la haute teneur en sucres du miel. Les enzymes sont aussi très fragiles. Elles ne résistent pas à un chauffage de plus de 40 °C, par exemple. Le miel mangé durant le mois qui suit sa mise en pot est donc un aliment exceptionnel, une bombe nutritionnelle.
Un des meilleurs aliments qui puisse exister
Selon la conclusion de l’article scientifique : « Avec ces données, nous sommes certains que beaucoup de ces composants trouvés dans le miel aujourd’hui comme par exemple l’acide lactique, l’acide acétique, l’acide formique, le peroxyde d’hydrogène et d’autres proviennent de cette flore de bactéries lactiques. De ceci nous supposons que la flore de lactobacilles découverte apparaît comme essentielle dans la transformation du nectar en miel. Par conséquent, nous suggérons que le miel doit être considéré comme un aliment fermenté. (…) La prochaine fois que vous mangerez du miel frais (…) n’oubliez pas que vous mangez probablement un des meilleurs aliments qui puisse exister au monde car il contient un grand nombre de bactéries lactiques. Aucun autre aliment au monde ne contient une aussi grande variété de ces bactéries, soit 13 au total. »
(*) Detection and identification of a novel lactic acid bacterial flora within the honey stomach of the honeybee Apis mellifera
Tobias C Olofsson 1 , Alejandra Vásquez
Curr Microbiol, 2008. doi: 10.1007/s00284-008-9202-0.
Abstract
This investigation concerned the question of whether honeybees collect bacteria that are beneficial for humans from the flowers that contribute to formation of their honey. Bacteria originating from the types of flowers involved, and found in different anatomic parts of the bees, in larvae, and in honey of different types, were sampled during a 2-year period. 16S rRNA sequencing of isolates and clones was employed. A novel bacterial flora composed of lactic acid bacteria (LAB) of the genera Lactobacillus and Bifidobacterium, which originated in the honey stomach of the honeybee, was discovered. It varied with the sources of nectar and the presence of other bacterial genera within the honeybee and ended up eventually in the honey. It appeared that honeybees and the novel LAB flora may have evolved in mutual dependence on one another. It was suggested that honey be considered a fermented food product because of the LAB involved in honey production. The findings are seen as having clear implications for future research in the area, as providing a better understanding the health of honeybees and of their production and storage of honey, and as having clear relevance for future honeybee and human probiotics.
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