Ce que l’analyse génétique des collections de muséum nous révèle sur l’évolution des populations d’abeilles
Une équipe de chercheurs de l’université de Californie1 a analysé de manière spatiale et temporelle, en utilisant des spécimens issus de collections de muséums, le génome2 de différentes populations sauvages d’abeilles. Cette analyse a permis de révéler qu’en Californie :
- Plusieurs souches d'abeilles domestiques ont été introduites à partir du 19ème siècle. Elles se sont répandues, hybridées, et les mécanismes de sélection (naturelle ou artificielle) se sont appliqués
- Au Nord de l’Etat, la diffusion de Varroa a décimé les colonies sauvages d’abeilles qui se sont reconstituées à partir des colonies domestiques existantes
- L’abeille africaine, introduite en Amérique du Sud, est remontée jusqu’au Sud de l’Etat, et est devenue la souche dominante, phénomène attribué à sa meilleure résistance à Varroa
- En comparant le génome de ces différentes populations soumises à des conditions environnementales différentes, les chercheurs ont pu mettre en évidence un certain nombre de gènes pouvant jouer un rôle dans l’adaptation des populations
En 1622, l’abeille Apis mellifera fait son entrée dans le territoire nord-américain avec l’arrivée de colons français et anglais et en 1853, elle est introduite pour la première fois en Californie. A l’heure actuelle, près de la moitié des ruches gérées aux USA par des apiculteurs professionnels se retrouvent en Californie au cours de la saison hivernale. De nombreuses populations sauvages sont également présentes dans cet état, ces dernières étant originaires de populations domestiquées ayant essaimé. Bien que l’origine génétique de ces populations sauvages et domestiquées soit similaire, elles sont soumises à des pressions sélectives différentes 3,4,5 et l’analyse génétique des populations sauvages permet d’étudier les processus d’adaptation aux conditions locales. Grâce à l’utilisation de collection de muséum et l’analyse de populations « modernes sauvages », une équipe de chercheurs de l’université de Californie a séquencé sur une période de 105 ans (1910–2015) le génome de populations californiennes sur trois zones géographiques : le Nord, le Sud et l’île d’Avalon. Cette analyse a permis d’étudier de manière temporelle et spatiale la structure génétique d’Apis mellifera en Californie.
Sites d'échantillonage
Chez les organismes sexués, l’espèce est définie comme un ensemble de populations dont les individus peuvent se reproduire entre eux et engendrer une descendance viable et féconde. Dans le cas des sous-espèces, ces populations développent des caractéristiques spécifiques mais ces caractéristiques ne constituent pas des barrières à la reproduction entre sous-espèces. Sur la base de critères phénotypiques (visible à l’œil nu), il y a actuellement 28 sous-espèces reconnues chez Apis mellifera. D’un point de vu génétique, ces espèces sont reparties en quatre branches :
- Branche A : sous-espèces africaines
- Branche M : sous espèces d’Europe du Nord-Ouest
- Branche C : sous espèces d’Europe du Sud-Ouest
- Branche O : sous-espèces du Moyen-Orient
La plus vieille population analysée est originaire de la branche M puis à travers le temps, on constate un important changement où la branche M est supplantée par la C.
Contribution de chaque branche sur les populations « sauvages modernes » californiennes (un barre d’histogramme = une population).
On constate donc que les populations actuelles résultent d’un métissage entre les différentes branches. Dans le cas des populations du Sud de la Californie, il y a pénétration de la branche africaine (en rouge branche A), cette dernière remontant progressivement depuis son introduction au Brésil en 1956. Au sein des populations sauvages du Nord, les auteurs ont également constaté une baisse de la diversité génétique et un rapprochement génétique avec les populations domestiquées, phénomènes concomitants à l’arrivée de Varroa. En effet, à son arrivée, le pathogène a éliminé la plupart des populations sauvages (80 %) et ces dernières se sont reconstituées à partir des populations domestiquées. En revanche, dans le cas des populations sauvages du Sud, la diversité génétique semble avoir été peu affectée par l’arrivée de Varroa. En effet, les conditions climatiques plus sèches limitent son expansion, la pénétration de la branche A aurait apporté de la diversité génétique et eu un effet protecteur, l’abeille africanisée étant plus résistante (taux d’épouillage plus important, délai entre la ponte et l’operculation plus court). Toutefois, les auteurs émettent l’hypothèse que l’arrivée de Varroa aurait en fait favorisé cette pénétration, éliminant les autres branches.
En revanche, pour la population insulaire d’Avalon, cette dernière n’a jamais été en contact avec Varroa et sa structure génétique, très différente de celles des populations du continent, reste inchangée à travers le temps, identique à la première introduction d’abeille en Californie (branche M).
1 Cridland et al. Genome Sequencing of Museum Specimens Reveals Rapid Changes in the Genetic Composition of Honey Bees in California. Genome Biol Evol. 2018 Jan 15. doi: 10.1093/gbe/evy007. [Epub ahead of print].
2 C’est quoi un génome ? http://asapistra.fr/?q=node/1169
3 Vulgarisation sur le processus de sélection naturelle http://asapistra.fr/?q=node/1116
4 Exemple de pressions sélectives sur les populations domestiquées : Quand les pratiques apicoles deviennent contre-évolutives http://asapistra.fr/?q=node/1148
5 Exemple de processus sélectif sur les populations non gérées : Mécanisme non élucidé de résistance face à Varroa http://asapistra.fr/?q=node/1115
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